Resumé |
Introduction. La littérature internationale montre que les peuples autochtones ont une santé mentale plus dégradée et un moindre recours aux soins formels par rapport à la population générale. Cependant, les données épidémiologiques sont rares et varient selon les peuples, limitant les généralisations. La plupart des études concernent des territoires colonisés par des sociétés anglo-saxonnes, avec peu de données sur les territoires français d'Outre-Mer. Cette thèse a pour objectif de décrire la prévalence des troubles psychiques et l'utilisation des soins chez les autochtones de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, et de les comparer à celles des non-autochtones, en tenant compte des facteurs associés. Méthode. Cette thèse utilise les données de l'enquête internationale « Santé mentale en population générale » sur trois sites où le statut autochtone était précisé : Nouméa (2006), la « Brousse » (2008) en Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française (2015-2017). Les troubles psychiques étaient évalués à l'aide du Mini-International Neuropsychiatric Interview, et les participants indiquaient s'ils avaient eu recours à des soins formels ou informels. La prévalence des troubles chez les autochtones était comparée à celle des autres participants. Des analyses multivariées prenaient en compte le genre, l'âge, le niveau d'éducation, le statut marital, l'activité professionnelle et le revenu mensuel. La proportion de recours aux soins formels chez les autochtones était comparée à celle des non-autochtones, en tenant également compte des croyances religieuses, du nombre et du type de troubles, ainsi que du recours à des soins informels. Résultats. Au total, 2 447 personnes ont participé à l'étude et 2 294 ont été analysées, dont 1 379 participants autochtones. Parmi eux, 52,3% présentaient au moins un trouble de santé mentale, avec des prévalences plus élevées de troubles dépressifs (18,0% contre 11,7%, p < 0,001), de troubles liés à la consommation d'alcool (16,7% contre 11,7%, p = 0,001) et de risque suicidaire (22,3% contre 16,7%, p = 0,001), que chez les non-autochtones. Après ajustement sur les variables socio-économiques, seul le trouble lié à la consommation d'alcool restait significativement associé au statut autochtone (OR = 1,47 [1,09-1,99], p < 0,001). Dans l'ensemble, 1 350 et 746 troubles ont été identifiés chez respectivement 628 participants autochtones et 367 participants non autochtones. Après ajustement, le recours aux soins formels restait deux fois moins fréquent pour les troubles présentés par les autochtones (0,43 [0,33-0,55]). Alors que le recours aux soins formels était similaire d'un type de trouble à l'autre, seuls les troubles de l'usage de substance faisaient exception : le recours aux soins formels était deux fois moindre (0,54 [0,37-0,77]), mais sans interaction avec l'appartenance ethnique. La probabilité de recourir aux soins formels était plus importante lorsqu'un recours aux soins informels était également rapporté (2,53 [1,95-3,31]), mais toujours sans interaction avec le statut d'autochtone. Conclusion. Cette thèse examine, pour la première fois, la prévalence des troubles de santé mentale et les modalités de recours aux soins en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Les résultats montrent une prévalence nettement plus élevée des troubles psychiques chez les autochtones, en grande partie due à des déterminants socio-économiques tels que les inégalités de revenus, d'éducation et d'emploi. De plus, les autochtones ont tendance à moins recourir aux soins formels, sans que ce phénomène puisse être entièrement expliqué par les facteurs socio-économiques Ces constats soulignent l'importance de repenser les politiques de santé mentale dans ces territoires d'Outre-mer, en réduisant les inégalités socioéconomiques d'une part, et en adaptant le système de soins aux spécificités culturelles et aux croyances locales d'autre part. |