L'exil, le goût, la mère, les lotophages : manger pour ne pas se perdre sur les chemins du (dé)placement
Exile, taste, motherhood, and the lotus-eaters : eating in order not to get lost on the paths of (dis)placement
par Sébastien TALON sous la direction de Mi-Kyung YI
Thèse de doctorat en Recherches en psychanalyse et psychopathologie
ED 450 Recherches en psychanalyse et psychopathologie

Soutenue le jeudi 03 octobre 2024 à Université Paris Cité

Sujets
  • Alimentation
  • Déplacement (psychologie)
  • Enfants placés
  • Enfants réfugiés
  • Mères
  • Psychanalyse
  • Repas

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Mots clés
Maternité, Placement, Nourrissage, Exil, Lotophages, Réfugiés, Migrant, Goût, Incorporation, Transmission
Resumé
Pourquoi des mères arrivent-elles avec des sacs pleins de vivres aux Visites médiatisées, quand leurs enfants sont placés ? Pourquoi certaines arrivent en retard, après avoir cuisiné ? Certains enfants placés demandent si ce qu'il mange vient de chez eux ? Ou, « si cela goute malien ? » Ce travail de thèse propose une lecture interdisciplinaire (sciences politiques, psychanalyse) de l'alimentation en situation de migration quand un enfant est placé. Elle met en avant les liens entre alimentation, origines et langues. Dans notre première partie, intitulé le Pain de l'exil, nous avons montré combien l'ordinaire du repas, et du pain au sens large comme aliment de base, n'est en rien un besoin physiologique simple, et comment dès son entrée dans le monde, le petit d'homme est baigné par une structuration anthropologique du repas. Cette question est sensible et saillante dans les moments de rupture et de catastrophe. Quels que soient les aires culturelles, la maternité passe par l'enjeu du sein et de l'alimentation, mais aussi donc du sexuel. Dès lors les exilés combattent en cuisinant sans cesse les plats du pays, pour ne pas en oublier la recette du retour. Mais ils doivent le faire avec les ingrédients d'ici. C'est pourquoi nous avons étudié la notion de construction des identités nationales et avons montré comment la création d'une cuisine locale renvoie à des systèmes politiques d'appartenance qui passeraient par ce que le sujet incorpore. Puis nous avons, tenté de circonscrire la question du repas à des enjeux sociologiques. Enfin, la place de l'alimentation se retrouve à plusieurs reprises dans l'histoire mythologique/dramatique. Toujours frappée d'interdit, de transgression, la question du repas montre intensément l'enjeu des places de chacun et les différentes règles manifestant le respect entre générations. Le repas est à la fois un moment fondateur de la famille (Totem et Tabou ; Freud, 1913/1994), mais aussi d'espace d'observation méthodologique présent dès les débuts de la psychanalyse, (Psychopathologie de la vie quotidienne (Freud, 1901/1922)). Autre moment clef où la question de ce qui n'est pas un repas, car cette notion implique le rapport à autrui, le partage, mais de la dévoration, c'est la place de l'oralité, de la dévoration et de la voix : le mythe d'Œdipe. Analysé au prisme de l'oralité, c'est la figure de la Sphinge qui est réapparue au premier plan. C'est ainsi que nous avons abordé la deuxième partie de ce travail : Quand le pain devient Lotos, c'est-à-dire quand quelque chose transforme le vital en un objet d'angoisse, ou en signifiant-délignifié. Nous avons alors présenté le terrain clinique et l'association de loi 1901 AHUEFA International France. Nous avons procédé à l'interrogation des conditions même de la production d'un savoir impliquant des familles illettrées et vulnérables. Il arrive quelquefois que la bouche sature. Elle n'est pas qu'une cavité que l'on remplirait sans aucun hédonisme. Pour mieux comprendre ce que la migration, la langue et le repas ont en commun, un texte de l'antiquité grecque est venu éclairer notre propos. En relisant le Chant des Lotophages chez Homère, à l'aune de la psychanalyse. Ce mythe signerait ce qui se joue de l'angoisse. Les Lotophages sont un peuple vivant sur une île, qui mangent tous ensemble le Lotos. Une fois mangé ils ne souhaitent plus donner ni de nouvelles, ni retourner chez eux. C'est là tout l'enjeu de l'incorporation et de ce retour du refoulé et l'angoisse que cela suscite chez des mères, qui craignent que leurs enfants ne deviennent ici des lotophages. S'intéresser au nourrissage c'est aussi questionner ce que le sujet tait en mangeant, puisque l'on ne parle pas la bouche pleine. Enfin dans la dernière partie de ce travail, nous avons confronté nos propositions à la réalité clinique. Le repas devient cet écran pour des familles qui souffrent entre ce corps et ces langues qui sont tues.