Resumé |
La myélofibrose primaire (MFP), la thrombocytémie essentielle (TE) et la polyglobulie de Vaquez (PV) font partie des néoplasmes myéloprolifératifs (NMP) BCR-ABL négatifs et sont caractérisés par une hyperprolifération des lignages myéloïdes incluant les mégacaryocytes (MKs). Cette hyperprolifération due, dans environ 50% des cas, à la mutation JAK2V617F, peut conduire à une hématopoïèse extramédullaire (HEM) et au développement d'une myélofibrose (MF), dont les acteurs majeurs sont les MKs. Même si l'utilisation d'inhibiteurs de JAK2 tels que le ruxolitinib ou le fédratinib diminue les symptômes de la MF, ils n'ont de réel effet ni sur la progression, ni sur la résorption de la MF. Le seul traitement efficace est la greffe allogénique de moelle osseuse (MO). Les objectifs de ce travail étaient d'analyser le rôle du MK dans le développement de la MF en contexte Jak2V617F, puis de proposer un modèle murin avec un développement rapide de la MF afin de tester des traitements préventifs. Récemment, il a été montré que dans les progéniteurs hématopoïétiques de souris Jak2V617F, l'expression et l'activité de CDK6 sont augmentées et que, dans le modèle murin, la perte de CDK6 entraîne une correction du phénotype NMP. Notre laboratoire a montré précédemment que l'inhibiteur de la voie CDK4/6, p19INK4D régule le cycle des MKs par l'arrêt des endomitoses et que son absence, chez les souris, induit une fibrose et une splénomégalie avec l'âge. Nous avons donc analysé la ploïdie et l'expression de p19 dans les MKs de souris Jak2V617F et de patients atteints de TE mutés pour JAK2V617F. Nous avons montré que, dans les deux cas, l'augmentation de la ploïdie des MKs est corrélée à une diminution de l'expression de p19. Nous nous sommes donc focalisés sur cet axe p19/CDK4/6 dans le développement de la MF.Pour étudier l'impact de la diminution de l'expression de p19 sur la MF, nous avons croisé deux modèles murins, les souris KO constitutif pour p19 avec les souris KI Jak2V617F conditionnel. Ces souris sont appelées « KOKI ». Nous avons montré que les souris uniquement Jak2V617F développent une fibrose relativement tardive due à l'amplification et l'activation des MKs, présentant un taux de ploïdie augmenté et par conséquent, une concentration médullaire de TGF-β1 sécrété, plus élevée. Ce phénotype est accentué par l'absence totale de p19 chez les souris KOKI qui développent rapidement une MF de grade 1, dès 3 semaines post-induction de Jak2V617F et de grade 3 à 8 semaines. Le modèle KOKI permet donc d'étudier le développement de la MF et de réaliser des tests précliniques. Du fait du développement de la fibrose, ces souris présentent également une hypocellularité de la MO et une splénomégalie, conséquence de l'HEM. Pour savoir si l'axe p19/CDK4/CDK6 peut représenter une nouvelle cible thérapeutique dans la MF, nous avons utilisé le palbociclib (PB), inhibiteur spécifique de CDK4/6. Le traitement des souris Jak2V617F et KOKI avec le PB corrige le syndrome myéloprolifératif, conduit à une diminution de la ploïdie et de la taille des MKs, ainsi que de la concentration de TGF-β1 actif ; il réduit en outre fortement le développement de l'HEM et, uniquement chez les KOKI, inhibe l'apparition de la MF. L'effet de PB sur la MF dans le contexte KI n'a pas pu être observé en raison de la longue période d'apparition de la MF chez ces souris. En traitant des souris, ayant subi une greffe compétitive (75% de cellules WT + 25% de Jak2V617F) avec le PB, nous avons montré que cette drogue cible spécifiquement le clone Jak2V617F depuis les cellules souches de la MO et jusqu'aux cellules matures du sang. En conclusion, dans ce modèle KOKI, la dérégulation de p19/CDK4/6 dans les MKs est suffisante au développement d'une MF sévère, suggérant que les inhibiteurs de CDK4/6 pourraient être un enjeu thérapeutique prometteur pour les patients atteints de MF. |