Resumé |
Cette thèse part de la prémisse que la théorie psychanalytique offre les conditions d'intelligibilité pour l'écoute analytique. Ainsi, le point de départ de cette recherche est l'idée qu'un autre modèle de psychisme et de corps, différent de celui de la castration et du manque, entraînerait une autre écoute en psychanalyse, possiblement moins normative. Cette thèse vise à théoriser un nouveau modèle pour le "corps-psychisme" en psychanalyse. La pensée de la psychanalyste et philosophe Luce Irigaray est centrale dans mes propositions - surtout l'inséparabilité entre matérialité et signification postulée par cette penseuse, ainsi que son approche de la sexuation inhérente à tout discours. Pourtant, à la place de l'éthique de la différence sexuelle qu'elle a notamment proposée, je prône plutôt une éthique des différences, l'une qui priorise l'intersubjectivité. Je réinterprète son concept de "muqueux", lui conférant le statut de modèle. Le muqueux représente les espaces où des éléments différents coexistent sans s'annuler les uns aux autres - ce qui inclut corps et psychisme. Le muqueux est un tissu présent dans tout corps. Il inclut le sexuel à travers la pulsion et les différences à travers l'intersubjectivité, mais n'essentialise pas des identités. Dans la pensée de Freud, on retrouve une notion de corps anatomique coexistant avec le corps pulsionnel. Des concepts qui semblent se référer seulement au psychique se montrent souvent exister en rapport avec une certaine corporalité, genrée, qui fonctionne comme prisme d'intelligibilité. L'épistémologie psychanalytique a une idée de sujet qui s'avère être celle de l'homme, un corps ayant un pénis et menacé de castration. Ainsi, un discours excluant par rapport aux genres et subjectivités hors-norme semble trouver des arguments dans la psychanalyse, car des concepts qui se veulent purement psychiques ou symboliques ont, en fait, une base anatomique et genrée. Tout de même, la prise de la matérialité comme moyen d'intelligibilité n'entraîne pas forcément d'abjections. Les modèles corporels peuvent être efficaces pour représenter le psychique. Toutefois, il faut considérer les conditions discursives dans lesquelles les conceptions anatomiques et genrées sur le corps trouvent leurs origines. Il n'y a pas de vérité anatomique, seulement de constructions discursives sur la matérialité. Lorsqu'on comprend les corps dans leur rapport intime avec les normes qui les produisent, les modèles corporels peuvent en fait élargir le champ de l'intelligible. Le muqueux représente la confluence des différences, l'hybride et le paradoxal. Ce modèle vise à donner condition d'intelligibilité aux existences de l'"entréité", comme celles entre dedans-dehors, altérité-dépendance, frontière-demeure, sujet-sujet, corps-psychisme, matière-symbole, chair-raison. De plus, le muqueux est particulièrement capable de représenter les existences paradoxales hors-norme, de ces sujets et corps qui existent, qui sont fabriquées et qui pourtant ne retrouvent pas d'ontologie, de représentation ni d'intelligibilité. De cette façon, le modèle du muqueux a comme but de faire place aux différences, ainsi qu'aux apparentes contradictions. Intersubjectif, ce modèle pense aux différences comme toujours surgissant dans des relations. L'intérêt de cette thèse est de proposer un modèle pour penser le psychisme sans le détacher du corps et sans nier les complexités du rapport chair-subjectivité. Finalement, ce modèle ne vise pas à se constituer comme le seul, mais plutôt comme une invitation pour un mouvement visant à la création de différentes images et représentations, avec la finalité de rendre compte des pluralités des subjectivités et des corps, sans reproduire des abjections. |