Mots clés |
William Blake (1757-1827), Romantisme, Poésie, Gravure, Intermédialité, Chaos, Cosmos, Ordre, Désordre |
Resumé |
William Blake crée ses « Illuminated Books » à un moment pivot de l'histoire anglaise, que Michel Foucault identifie dans L'ordre du discours comme la période où une nouvelle épistémè se déploie, régulant le monde à travers des grilles conceptuelles rigides. Alimenté par la philosophie des Lumières et son éloge de la raison, par les nouvelles découvertes en physique et en physiologie qui encouragent le développement de nouvelles perspectives cosmologiques et taxonomiques sur le vivant, et par les valeurs productives de la révolution industrielle qui promeuvent une relation matérialiste au monde naturel, le tournant du dix-neuvième siècle donne naissance à un nouvel ordre mondial. Blake, qui célèbre les révolutions américaine et française, et qui fait la satire de l'isolationnisme et l'impérialisme qui se développent simultanément en Angleterre, dénonce cet ordre, qu'il juge coercitif. Cette thèse examine les multiples façons dont Blake perturbe l'ordre établi, nous obligeant à repenser notre relation à l'ordre et au désordre, ainsi qu'au cosmos et au chaos. Dans ses « livres prophétiques », qui mettent en relation de multiples cosmologies issues de diverses traditions littéraires, spirituelles et philosophiques, Blake déconstruit les récits autoritaires et singuliers, affirmant au contraire le pouvoir de la pluralité et de la polyphonie à travers de multiples perspectives. La technique de gravure en relief qu'il invente, l' « illuminated printing », lui permet d'opérer un mélange hybride de médias qui, à une époque où les arts se structurent sous l'égide de la Royal Academy, cultive une esthétique du désordre. Dans ses livres intermédiaux, qu'il réalise en de multiples exemplaires dont les contours et les réseaux sémiotiques ne cessent de changer, Blake défie sans cesse la notion de totalité, faisant appel à des forces fragmentaires, apocalyptiques et entropiques qui l'amènent à convoquer le sublime à la recherche d'une « living form », faisant écho aux efforts des physiologistes contemporains. Blake conçoit l'oeuvre d'art comme un organisme vivant et multiconnecté, ce qui, dans la lignée d'un questionnement romantique sur le rôle de l'artiste, nous incite à redéfinir la place de la poésie et de l'art dans la société. En favorisant des frontières dynamiques, Blake produit un « chaosmos », ce qui l'amène à prôner une esthétique de l'excès qui permet la création d'un monde profondément pluriel et interrelié. Ses livres démontrent que la création poétique et la création artistique sont de véritables moyens de créer un monde, ou « worldmaking ». |