Resumé |
Cette thèse étudie l'élastomouillage dynamique, c'est-à-dire le déplacement d'un liquide sur un substrat déformable. Un liquide dissipe son énergie motrice par viscosité lorsqu'il se déplace sur une surface solide. Cependant, les substrats viscoélastiques comme les gels de polymères dissipent aussi de l'énergie : l'interface liquide/vapeur tire sur le substrat ; la déformation qui en résulte dissipe de l'énergie lorsqu'elle suit le déplacement de la ligne de contact. Un modèle récent, basé sur la théorie de l'élasticité non linéaire, soutient que le rapport de ces deux sources de dissipation est un paramètre crucial du système. Plus ce rapport est grand, plus la dissipation dans le substrat est importante par rapport à celle dans le liquide. Cette thèse met en valeur le rôle clé de ce rapport de dissipation, jusque-là inexploré. Nous avons fait dévaler des gouttes sur des gels de silicone, ce qui permet d'étudier à la fois le mouvement d'avancée et de reculée du liquide. Le rapport des dissipations des systèmes choisis varie sur quatre ordres de grandeurs. La forme des gouttes dépend fortement de ce paramètre. Lorsque le liquide dissipe autant d'énergie que le solide, on retrouve des formes proches du cas où le substrat est rigide : la goutte forme un coin arrière à mesure que sa vitesse augmente. Les coins sont cependant plus arrondis que dans le cas rigide. Lorsque le solide dissipe beaucoup plus que le liquide, les gouttes sont plus allongées et ne présentent plus de coin. La mesure de la vitesse des gouttes en fonction de leur poids retrouve ces deux cas de figures. Dans le premier cas, la vitesse augmente linéairement avec le poids, comme si le substrat ne jouait pas de rôle. Dans le second cas, la vitesse augmente toujours avec le poids, mais cette fois-ci la rhéologie du solide régit la dynamique. Nous avons aussi mesuré les angles de contact entre la goutte et le substrat en fonction de la vitesse. Augmenter le rapport de dissipation modifie progressivement la relation entre l'angle et la vitesse. Lorsque ce dernier est faible, on retrouve une courbe proche de celle de Cox-Voinov, largement utilisée pour décrire le mouillage sur un substrat rigide. Mais lorsque celui-ci augmente, la courbe adopte une pente de plus en plus forte à basse vitesse, et des plateaux de plus en plus en plus marqués à haute vitesse (en valeur absolue). Ceci explique l'allongement des gouttes à mesure que le substrat dissipe de plus en plus. Le modèle susnommé, en excellent accord avec nos résultats, prédit cette « hystérèse molle ». Cette mesure plus locale complète l'interprétation des mesures de pesée. En effet, les propriétés viscoélastiques du substrat affectent la dynamique de la goutte même lorsque celle-ci dissipe autant dans le liquide que dans le substrat. Malgré de fortes ressemblances avec le cas rigide, où seul le liquide dissipe, une simple approche « comme si » le substrat ne dissipait pas ne suffit plus à décrire les données. Dans tous les cas, la goutte laisse des gouttes derrière elle au-delà d'une certaine vitesse - c'est l'instabilité de perlage. Nos expériences vérifient la tendance prédite par le modèle : le seuil d'instabilité décroît avec le rapport de dissipation à angle d'équilibre constant. Le présent travail apporte aussi un nouvel éclairage sur l'échelle à laquelle les gouttes en coin s'arrondissent. Les mesures sur des lames de verre suggèrent des échelles moléculaires. Or, la longueur élastocapillaire, taille caractéristique de la déformation au niveau de la ligne de contact, semble se coupler avec l'échelle moléculaire pour définir la courbure du coin dans nos systèmes : plus celle-ci est petite, plus le coin est « pointu ». Ceci explique pourquoi les coins sont plus arrondis quand le substrat est viscoélastique. Une étude plus poussée est nécessaire afin de comprendre en détail le rôle de la longueur élastocapillaire. |