Mots clés |
Égalité, Inconscient, Narcissisme, Psychologie de masse, Tocqueville, Idéal du moi, Psychanalyse |
Resumé |
Le point de départ de cette recherche est une question portant sur le signifiant « égalité » dans les idéaux culturels et politiques contemporains, dans la parole des patients, mais aussi à travers les critiques adressées à la théorie psychanalytique. Relisant la thèse de Tocqueville sur la « passion de l'égalité » des peuples démocratiques à l'aune de l'hypothèse freudienne de l'inconscient, notre travail a pour but d'en interroger les effets sur l'organisation libidinale du sujet, sur le politique et sur la résistance à la psychanalyse. Au milieu du XIXe siècle, Tocqueville avait analysé l'extension du domaine imaginaire de l'égalité, en le distinguant du progrès symbolique de l'égalité en droit. C'est sur la régression narcissique associée à l'imaginaire de l'égalité que nous établissons la rencontre entre l'anthropologie de la modernité démocratique de Tocqueville et l'anthropologie psychanalytique freudienne. L'égalité imaginaire accomplit en effet, selon Tocqueville, une forme d'« obsession pour l'unité » humaine qui se traduit par une massification des individus - effet de la "tyrannie de la majorité et la providence étatique -, et une dynamique individualiste dépolitisante. Les individus « tous semblables et égaux » sont également des individus « renfermés dans la solitude de leur propre coeur », par la recherche du bien-être et des petites jouissances matérielles terrestres. Dans une première partie, nous interrogeons la fécondité de la conjonction « Tocqueville avec Freud » pour penser l'avenir politique de l'illusion et la constitution d'un lien social démocratique. Dans une seconde partie, nous interrogeons les effets subjectifs inconscients de la « passion de l'égalité » en traduisant dans les termes de la métapsychologie trois observations de Tocqueville : la place du père, l'identification et la régulation de l'envie. Nous exposons des vignettes cliniques qui mettent à l'épreuve l'élaboration théorique, en interrogeant la fonction de l'imaginaire social égalitaire dans la situation thérapeutique et pour l'économie libidinale du sujet. Dans une troisième partie, nous étudions les formes de la résistance à la psychanalyse dans une culture de l'égalité. À partir de la réception des conférences de Freud à la Clark University en 1909, nous situons l'assimilation de la psychanalyse à la psychologie du self dans la continuité d'une transformation de l'héritage puritain en culture de soi individualiste et en une « foi thérapeutique ». Nous étudions ensuite les fondements théoriques et cliniques d'une critique sociologisante de la psychanalyse chez différents auteurs : A. Adler, K. Horney, E. Fromm, M. Foucault et J. Butler. Nous montrons comment ces thèses dissidentes et ces critiques adressées à la psychanalyse s'orientent vers un projet de réalisation de soi et l'espoir d'une guérison de la névrose par l'évolution culturelle. L'étude d'une résistance égalitaire à la psychanalyse fait émerger le lieu théorique et clinique où les idéaux de l'égalité s'écartent de l'objet de la psychanalyse : l'hypothèse de l'inconscient et l'étude de ses effets sur le sujet et le collectif. Au plan politique, la « passion de l'égalité » est finalement interprétée comme favorisant l'adhésion à une psychologie de masse et l'adoption de « visions du monde » sécularisées. Au plan clinique, elle participerait d'une régression narcissique devant les fondements inconscients du désir. Cette recherche conduit finalement à repenser la position de la psychanalyse par rapport aux idéaux démocratiques. |