Resumé |
Cette thèse offre une contribution inédite à l'étude des rapports entre cinéma et dispositifs de surveillance. Le champ des surveillance studies met l'accent sur la complémentarité entre les techniques du regard issues de ces champs respectifs. Nous proposons au contraire de montrer que le cinéma n'a cessé de recenser ou d'inventer des manières de mettre surveillance et identification en échec. Les échecs du contrôle visuel à l'écran donnent lieu à une véritable invention : le cinéma démontre qu'en manquant à leur fonction, les dispositifs de surveillance et d'identification s'offrent à des usages esthétiques et politiques inédits. En cela, le cinéma se trouve doublement à l'épreuve de la surveillance. D'abord, parce que la surveillance génère en permanence de nouvelles manières de faire image. Cette pléthore forme un premier défi : comment les films peuvent-ils témoigner de cette profusion de techniques du regard, puis évaluer la portée politique et l'opportunité figurative qu'offrent ces nouveaux dispositifs ? Ce premier défi porte donc sur la faculté du cinéma à rendre compte des instruments du regard issus de la surveillance puis, au-delà de ce témoignage, à envisager une poiétique de l'image filmique qui fasse feu de ces dispositifs. Nous posons en somme comme premier défi l'intégration des regards surveillants à l'expression cinématographique. La seconde épreuve est dialectiquement opposée. Elle pose l'hypothèse du cinéma comme intelligence concurrente au regard surveillant. Poser cette hypothèse, c'est aller à rebours d'un discours majoritaire, selon lequel l'exercice de la surveillance a le monopole de l'innovation. Nous cherchons à montrer que les œuvres déploient aussi une résistance par l'image que nous qualifions de contrefaçon de soi : la faculté du corps filmé à détourner l'image par laquelle les dispositifs de surveillance exercent leur contrôle. Nous proposons de nous écarter d'un rapport négatif assez pauvre (« le cinéma s'oppose à l'exercice de la surveillance ») pour identifier de véritables propositions esthétiques et politiques (« le cinéma, en représentant l'échec du regard surveillant, éprouve les limites de ses propres modalités d'expression et en forge de nouvelles »). Nous corpus s'étend sur une vaste période, et dans des domaines a priori distincts. À partir d'une dizaine de métrages des premiers temps, nous constaterons que la mise en scène de ce regard (policier, surtout) est, dès le départ, accompagnée d'une vigilance pour ce qui tente de se soustraire à son autorité. Cette vigilance devient curiosité à part entière dans l'adaptation des Fantômas de Louis Feuillade (1914-1915), puis dans les années 1930, contemporaines du transformisme criminel de John Dillinger. Le cinéma hollywoodien classique (Big Brow Eyes, 1936 ; Hollow Triumph, 1948) s'approprie ensuite la dimension spectaculaire des dispositifs de contrefaçon de soi. Puis, à l'ère numérique, la fascination pour le corps anthropométrique laisse place à une investigation portant sur les défaillances de la prise de vue elle-même. On assiste alors à la transformation de ces défaillances en moyens d'invention formelle : les images ambiguës, floues et imprécises, qui signent l'échec de certains dispositifs de contrôle visuel, alimentent au cinéma un renouvellement formel foisonnant. La question politique des limites de la prise de vue implique en ce sens une investigation esthétique. Plusieurs cinéastes situés aux extrêmes du spectre de la production filmique s'emparent des errements de la vision instrumentale, pour penser les conditions d'expression du monde sensible délié de toute logique d'identification, des œœuvres expérimentales de Mara Mattuschka au cinéma de studio américain (Hollow Man, Paul Verhoeven, 2000 ; Predator, John McTiernan, 1987), en passant par les propositions d'auteur (La vie nouvelle, Philippe Grandrieux, 2002 ; Dendromité, Karine Bonneval, 2015). |