Mots clés |
Déesse-mère, Imaginaire, Islam, Mère, Matriarcat, Matricide, Père, Nom-du-Père, Psychanalyse, Religion |
Resumé |
Ce travail d'anthropologie psychanalytique propose, à partir du père, une interprétation de la fondation islamique qu'est le discours coranique muhammadien : nous en isolons le mythe fondateur et ses destins ultérieurs, dans la Culture comme dans la clinique contemporaine. L'enjeu est triple : apporter une contribution psychanalytique à la science des religions ; rendre possible, par le pistage du signifiant islamique, le travail clinique en « terre d'Islam » ; évaluer les apports, à la théorie psychanalytique, des fondements inconscients du dernier monothéisme. Une première partie aborde le malaise culturel de l'Arabie préislamique. Le croisement du signifiant coranique et des historiographies montre que les fondements anthropologiques de l'Arabie primitive étaient matriarcaux. Mais la religion avait subi une lente évolution, depuis un matricide fondateur commémoré par le culte totémique de l'animal-mère jusqu'au retour idéalisé de la Mère imaginaire dans l'idolâtrie. Peu à peu, on sacrifia non la Mère mais à la Mère. A la veille de l'islam, la voracité de la déesse-mère, érection fétichisée du phallus maternel, était à son acmé, occasionnant d'énormes dommages aux pulsions de vie et sexuelles. La deuxième partie montre comment le Prophète Muhammad a voulu solutionner ce malaise matriarcal par l'appel à un Dieu Un qui n'est que l'Autre matricide de la Mère. La réorganisation chronologique orientaliste des sourates permet de suivre le long et âpre combat psychique de Muhammad pour s'affranchir de la mère imaginaire : dans les Versets sataniques, il céda sur la pureté de son monothéisme en recyclant les déesses-mères en « Filles d'Allah », jusqu'à ce que le célèbre énoncé « Lui, Dieu, l'Un, n'a pas engendré » (Coran, 112, 1-3) érige le renoncement au Dieu-Père en renoncement à la Déesse-Mère. Au final, Allah n'est ni un Père réel (procréateur), ni un Père imaginaire (originaire et tout puissant), mais un Père symbolique désidéalisé et matricide. Il s'historicise en « votre père Abraham, celui qui vous a nommé al-muslimîn » (Cor., 22, 78). Ce n'est pas l'Abraham biblique, prêt à sacrifier son fils, mais l'Abraham refoulé des apocryphes : le fils rebelle, qui affronta « son père et son peuple » (Coran) en brisant leurs idoles-mères. Le Coran lui attribue l'institution du rite autour de la Kaaba, pierre tombale de la Mère, et du sacrifice annuel de l'animal-mère, suivi de son ingestion communielle. Cependant, l'islam institutionnel a rapidement forclos ce père hors-père en en faisant le père procréateur et omnipotent des Arabes, duplique de la déesse-mère. Une troisième partie met ce fantasme matricide islamique à l'épreuve de la clinique. Nous l'y trouvons déployé dans la métaphore bétylique maternelle, celle de la « maison-mère » - à l'instar du bétyle Kaaba, bayt el -, dont l'échec a signé l'entrée dans un délire à deux : au « château de ma mère » de Julien répond chez Mourad la mise à feu de la demeure maternelle au moment de l'échec de la défloraison de l'épouse. Nous concluons en rapatriant les résultats de notre anthropologie psychanalytique de l'islam sur le terrain universel de la psychanalyse. Les destins croisés de Muhammad et de l'Oreste d'Eschyle ouvrent la possibilité d'un sujet orestien de l'inconscient, alternative au sujet œdipien, où l'absence du père réel impose au moi d'agir sa propre castration et celle de sa mère, par l'acte matricide, représenté par l'injonction à lire dans al-Qur'ân, « la Lecture ». Le complexe d'Oreste se décline dans l'islam en complexe de Jawdar, où le héros des Mille et une Nuits commet un attentat à la pudeur de la mère où, au plus près de la Chose, il découvre le trésor de la femme et du féminin. Cette autre voie de l'humanisation, qui réalise le vœu lacanien de « se passer du Nom-du-Père à condition de s'en servir », est plus féconde que la voie œdipienne, mais plus fragile, du fait du retour de la reine-mère sur la scène de l'inconscient, via la culpabilité érynien |