Mots clés |
Voyage, Grand tour, Femmes, Élites, Hospitalité, Sociabilités aristocratiques, Cérémonial, Civilité, Pouvoir, Identités |
Resumé |
L'Italie est perçue par l'ensemble des voyageurs du XVIIIe siècle comme une terre accueillante. Cependant, la manière dont les étrangers sont reçus est souvent schématisée par les historiens avec des circuits ritualisés et répétitifs que l'on parvient à décrire dans les grandes lignes mais peu dans les détails. Les intermédiaires sont passés sous silence tandis que l'interaction avec la noblesse locale est présentée de façon négative, en partant du présupposé que les relations interpersonnelles qui en résulteraient seraient par définition formelles et superficielles. Cette thèse se propose de contribuer à mieux connaître les formes de l'accueil à Nice, Turin et Gênes au XVIIIe siècle, à travers principalement les écrits du for privé des voyageuses britanniques de distinction. Le prisme féminin apparaît comme un choix pertinent d'une part, car les récits sont généralement plus informés sur ces questions que ceux de leurs homologues masculins et de l'autre, parce qu'il ouvre sur des problématiques encore peu étudiées. Deux angles d'approche ont été privilégiés : l'accès et l'intégration des voyageuses au sein des sociabilités aristocratiques. L'accès implique l'analyse des processus de distinction sociale, mais aussi des rites de la politesse curiale et nobiliaire, tandis que l'intégration suppose, une fois que l'admission est acquise, une certaine capacité d'adaptation, de mise en conformité relative voire d'acculturation afin de s'insérer dans les sociétés locales, ce qui a fait l'objet d'un examen pour chaque espace social. Malgré un processus d'urbanisation croissant attirant les élites vers les sociabilités de la ville, le monde curial suscite également un vif intérêt chez les voyageuses. Son accès est facilité par la volonté de la Maison de Savoie d'accueillir largement les étrangers, surtout les représentants britanniques. La présentation formelle à la cour est en revanche peu fréquente, bien qu'ouverte aux dames de l'aristocratie et de la gentry, mais le lourd cérémonial qu'il suppose conduit plutôt les Anglaises à privilégier les lieux publics où l'on peut apercevoir la famille royale. Dans l'espace urbain, l'accueil nobiliaire prend de multiples formes. Il est dominé par la médiation d'hôtesses italiennes qui introduisent les voyageuses dans leurs conversations mais aussi dans d'autres cercles, dont la sphère religieuse. La présence à Nice de nombreux valétudinaires durant les mois de l'hiver contribue à former une communauté britannique plus établie qu'à Turin et Gênes. Les voyageuses sont ainsi tour à tour invitantes et invitées. Le modèle de l'hospitalité britannique emprunte certaines formes aux sociabilités italiennes, tout en reproduisant des pratiques anglaises. Une solidarité, notamment féminine, s'exerce autour de la maladie et de la mort, s'agrégeant aux réseaux familiaux et amicaux. L'accueil dans les différents espaces révèle une culture commune des élites mais sa réception est avant tout conditionnée par l'affirmation du statut social des voyageuses. L'émergence d'un sentiment patriotique, qui se consolide au cours du XVIIIe siècle, devient un facteur de différenciation avec la noblesse locale. Cette histoire renouvelée du voyage au féminin donne à voir les mécanismes de l'accueil ainsi que les représentations et idéaux qui les sous-tendent, en s'appuyant sur certaines comparaisons avec la France et l'Angleterre. Les acteurs sont plus clairement identifiés et témoignent qu'ils sont aptes à une certaine empathie réciproque qui peut aller jusqu'à l'amitié. Toutefois, à l'image de la condition humaine, des rivalités entre hôtesses sont également présentes mais ces dernières ne participent pas directement à une concurrence entre nations mais plutôt à des querelles de pouvoir intestines à l'échelle locale et à titre personnel. |