Mots clés |
Anthropologie de l'humanitaire, Féminisme matérialiste, Secteur anti-Traite, Refuges, Politiques d'immobilisation, Dortoirs d'usines |
Resumé |
Au Laos, les programmes de lutte contre la traite et l'exploitation sexuelle des femmes se multiplient depuis la décennie 2000. Le pays, l'un des plus pauvres de la région, connaît une migration de main d'oeuvre féminine importante vers la Thaïlande voisine, notamment vers l'industrie du sexe. Les études consacrées à la lutte contre la traite se concentrent principalement sur les discours anti-traite et se focalisent sur la répression du travail sexuel. Au contact des femmes concrètement prises en charge par ces politiques, la thèse s'appuie sur une ethnographie de long cours réalisée dans des centres de réhabilitation pour victimes de traite du Laos, et des dortoirs d'usines de Vientiane et Savannakhet. S'appuyant sur l'ethnographie des trajectoires socio-spatiales de jeunes laotiennes mobiles et les conceptions forgées par la sociologue Colette Guillaumin (2016 [1978]) et l'anthropologue Amy Sim (2009), la thèse fait émerger le concept de « politique d'immobilisation ». Le terme désigne les formes institutionnalisées de restriction des mobilités spatiales et sociales des femmes imposées au nom de leur protection et facilitant l'exploitation de leur travail. J'interroge ainsi les différents degrés de rétention humanitaire expérimentés par les « bénéficiaires » de programmes de prévention de la traite ou de réhabilitation au Laos et en Thaïlande. Au fil de l'étude de leurs parcours, je questionne les formes institutionnalisées de restriction des mobilités et de mise au travail qu'elles expérimentent, et les stratégies qu'elles déploient pour y faire face. Les personnes prises en charge dans des centres de réhabilitation pour victimes de traite au Laos sont de jeunes filles et femmes issues de familles paysannes, faiblement diplômées et non mariées, aux trajectoires variées. Beaucoup sont catégorisées comme étant « à risque de traite » mais n'ont ni émigré ni été exploitées. Celles qui ont travaillé dans l'industrie du sexe en Thaïlande ne sont pas aussi nombreuses qu'attendues, et beaucoup de Laotiennes ont été exploitées en Thaïlande dans des ateliers de production, des maisons ou des restaurants. Leurs parcours migratoires ont été entravés à plusieurs reprises au nom de leur protection. La thèse conceptualise plusieurs degrés de confinement des femmes dans l'espace, dont la « réhabili-détention » humanitaire en refuge gouvernemental thaïlandais, l'immobilisation préventive à la frontière lao-thaï, et l'incorporation de la clôture dans les refuges anti-traite du Laos. Elle interroge la prescription d'une respectabilité laborieuse en refuge, et la réintégration d'un nombre croissant de résidentes de refuges au sein d'usines de précision (produisant textile, perruques, ou lunettes) faiblement rémunérées sur le territoire national. L'ethnographie se poursuit dans les dortoirs d'usine de précision qui accueillent des programmes de prévention de la traite et de réintégration de ses victimes. Elle interroge la porosité idéelle et réelle des ouvrières et prostituées dans le Laos contemporain, interrogeant les déplacements de jeunes filles et femmes sur le continuum des échanges économico-sexuels. Apparaissent également dans les dortoirs des pratiques de re-socialisation corporelle visant l'acquisition d'une apparence masculine et d'un statut de tom (de l'anglais tomboy). Les mobilités sociales engagées par les ouvrières tom sont cependant confrontées à des formes d'appropriation qui les empêchent d'intégrer la classe des hommes. La thèse montre que le secteur anti-traite prolonge des formes d'appropriation collective et individuelle des femmes également en jeu dans l'institution familiale et sur le marché du travail, sans toutefois en détenir l'exclusivité. Elle révèle les ambivalences des frontières de genre dans les centres de réhabilitation comme dans les dortoirs d'usines. |