Resumé |
Le mélanome est une forme particulièrement agressive de cancer de la peau. Depuis plusieurs décennies, cette pathologie, considérée comme un problème de santé publique, a donné lieu à un traitement systémique : fabrique de campagnes de prévention et d'éducation à la sécurité cutanée, aux facteurs de risque, financement de la recherche. C'est cette recherche qui a permis de formaliser des outils sémiologiques rendant possible la détection non invasive des lésions mélanocytaires. C'est bien dans cette articulation entre organisation de la santé publique et prise en charge médicale que la détection précoce des cas de mélanomes a pu être mise en œuvre, faisant baisser le taux de mortalité. Néanmoins, cette détection est encore sujette à erreur. Si, comme le proposent Kohn et al (2000), l'erreur est « l'incapacité à réaliser une tâche telle que planifiée ou à concevoir une stratégie qui permette d'atteindre un but », il convient d'améliorer les modalités de planification de la détection des mélanomes ainsi que les conditions de son exécution, alors même que, de par son caractère tacite, le jugement exercé du clinicien et son incertitude résistent à leur objectivation. À un moment historique de modernité informatique, la régularité de la machine computationnelle a été considérée comme une solution pragmatique à cette quête de sécurité, d'objectivation, de maîtrise de l'incertitude. Mais une telle solution ne peut avoir pour seule finalité de réaliser sa fonction en vase clos, divulguant seulement un énoncé épistémique valide ; lors de son implémentation, cette fonction doit se réaliser au sein d'environnements tant social que systémique. Ce projet de recherche interroge la possibilité de l'implémentation d'une aide informatisée au diagnostic en contexte de santé publique. Il interroge d'une part la capacité d'un tel artefact à remplir sa fonction, mais aussi la possibilité de son intégration à une stratégie de détection précoce des mélanomes. Depuis la fin des années 2000, des dispositifs de machine learning utilisant des réseaux de neurones ont permis des avancées notables dans le domaine de l'analyse d'image. De nombreuses expériences ont été engagées, montrant de façon pragmatiste la performance de ces dispositifs, mais mettant l'homme à distance du réel, à la fois par la numérisation et l'abstraction computationnelle, et par la mise en place d'un nouveau sujet artefactuel de l'observation. Le processus algorithmique de diagnostic relève alors d'une apparente objectivité mécanique, mais son opacité épistémique occulte les modalités de calcul de ses résultats. Plus encore, les logiciels disponibles sont dépourvus de la possibilité d'expliquer leurs résultats. Et c'est bien ce défaut d'explicabilité qui pose problème, en tant que fonction épistémique, éthique et sociale, en tant que dispositif de fixation de la confiance dans le comportement de l'artefact. La maîtrise du processus de diagnostic nécessite aussi une planification permettant d'organiser l'usage d'un tel artefact, de lui donner un sens systémique, malgré son défaut d'explicabilité. Pour cela, nous nous fondons sur l'expérience passée de l'implémentation de technologies de rupture dans l'aéronautique civile ; sur l'appropriation que les usagers ont pu en faire dans un premier temps, sur leur adaptation qui lui a fait suite et sur la transformation de leurs savoirs d'action ; sur la nécessaire organisation systémique planifiant le travail de façon locale, et aussi les échanges d'informations entre acteurs, de telle façon que la tâche puisse être réalisée efficacement, en maîtrisant son incertitude. Si l'assignation d'une fonction de triage dans une organisation de télémédecine semble pertinente, ce n'est pas l'amélioration de l'efficacité en tant que telle qui doit en être attendue mais la maîtrise systémique de savoir-faire qui auront été formalisés. L'artefact devient un dispositif de gouvernance de ce processus de santé, permettant sa mise en risque. |