Mots clés |
Autrui significatifs, Cancer, Dialogue, Émotions, Famille filiale maternelle, Maternité, Moments communs, Relations mères/enfants |
Resumé |
Dans cette thèse, nous avons interrogé les effets du cancer et de ses traitements sur les relations qu'entretiennent des mères qui en ont été atteintes avec leurs enfants mineurs pendant et après les soins. Pour ce faire, nous avons conduit cinquante-cinq entretiens semi-directifs avec des femmes dont les phases aigues des traitements d'un premier cancer - opérations, chimiothérapie et/ou radiothérapie - étaient achevées depuis au moins un an. Ce travail de thèse mené en sociologie de la famille avec les grilles de la sociologie de l'individu permet de montrer que dans les sociétés occidentales contemporaines - du moins lorsque les enfants sont en bas-âge - les familles sont relationnelles (Singly (de), 2012), mais elles sont surtout de type filial maternel. Dans cette recherche, tout notre propos est de montrer que dans nos sociétés contemporaines, le pivot des familles relève du duo composé de la mère et de ses enfants ou de l'un(e) de ses enfants, notamment quand ces derniers sont en bas-âge. Autrement-dit, dans nos sociétés, les enfants sont les « autrui significatifs » (Berger et Kellner, 2012 [1964] ; Céroux, 2006) de leur mère, et réciproquement. Ce « titre » « d'autrui significatif » repose sur trois prérequis. Premièrement, les « autrui significatifs » sont insérés dans des relations qui empruntent à un registre émotionnel à une échelle individuelle et sociale. Deuxièmement, pour être « autrui significatif », les individus doivent partager un « monde commun » qui relève d'un espace et/ou de temps partagés ensemble. Enfin, dans les relations entre « autrui significatifs », la conversation occupe une place centrale. Sont « autrui significatifs », des personnes amenées à dialoguer entre elles de manière répétée. Telles qu'elles ont été construites socialement, les relations entre les mères et leurs enfants dans les sociétés occidentales répondent à ces trois impératifs. Dans la première partie de cette thèse, nous verrons que le cancer et ses traitements renforcent ces trois traits. Tandis que les pères investissent plus qu'ils ne le faisaient déjà avant la maladie, les dimensions traditionnelles de la paternité - autorité et ressources matérielles -, les mères notent que dans le cadre de cette expérience de maladie qui emprunte à un registre tragique, elles sont amenées à passer plus de temps avec leurs enfants et à plus dialoguer avec eux qu'elles ne le faisaient déjà avant le diagnostic. En cela, le cancer et le temps de ses traitements peuvent favoriser un rapprochement relationnel entre les mères et leurs enfants. Pour que celui-ci advienne, il est toutefois indispensable que la mère se fasse reconnaitre et soit reconnue par ses enfants comme « malade », ce qui n'est pas nécessairement le cas même une fois le diagnostic de cancer dûment établi par le corps médical. En l'absence de reconnaissance du statut de « malade », les relations avec les enfants restent inchangées pendant, comme après les soins. Néanmoins, cette configuration de stabilité relationnelle semble - au regard des femmes qui composent notre corpus - minoritaire et plutôt associée à des femmes actives occupées sous le régime libéral. Le plus souvent, la période des traitements du cancer et celle qui lui succède, sont propices à des « gains » ou à des « [pertes] en qualité de relation » (Audrey) entre les mères et leurs enfants. L'un des enjeux cruciaux de notre recherche est de montrer que ces « gains » et ces « pertes » doivent beaucoup à l'âge des enfants et au statut du cancer. À ces escients, notre thèse permet de rompre avec une vision enchantée de la maternité. À mesure que les enfants vieillissent et/ou quand les effets du cancer et de ses traitements se font ressentir, nous avons montré que cela peut participer à distendre les liens intergénérationnels entre les mères et leurs enfants qui, dans les représentations, restent pourtant associés à l'inaltérabilité (Bidart, 2007) et à une solidité sans nulle autre pareille. |